L'écho du silence

Ce deuxième roman explore l'existence singulière d'Elsa. Au fil des pages de son journal intime, cette jeune fille pas tout à fait adulte dévoile ses doutes, ses espoirs, ses conquêtes. Le doigt dans l'engrenage infernal de l'anorexie, elle tente de donner un sens à ses jours sans renoncer pour autant à chercher celui qui fera battre son cœur.
Disponible en librairie.
298 pages. 18 €.
Commande possible directement sur le site de la maison d'éditions: http://editionsrocduker.fr/
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Extraits choisis.

Prologue

Extrait du journal d’Elsa.

Souvent je fis ce rêve étrange et inquiétant. Il s’invitait dans mon sommeil sans préavis et me troublait au plus profond de mon être.
Je me trouve dans un espace restreint et intuitivement, mes gestes ralentissent, comme si je fonctionnais à l’économie. Indistinctement, des sons atténués me parviennent, de la musique parfois, des voix la plupart du temps. Toutefois, il m’est impossible de distinguer ni ce qui est dit, ni qui l’énonce. Je dois avouer que je ne me préoccupe en aucune façon de ce qui m’environne. Seul compte l’instant présent, l’ici et maintenant. À aucun moment je ne me sens agressée par ce qui m’entoure, comme si un bouclier invincible me protégeait avec une efficacité redoutable. Je ne me sens ni vulnérable, ni en danger. C’est bien la preuve que je suis en sécurité dans cet univers où tout me parvient de façon atténuée. Il fait bon, et la sensation première est celle d’un bien-être absolu.
Cependant, je perçois une présence intruse dans cet univers que je qualifierais de ouaté. Je prends alors conscience de ma nudité et mes sens m’alertent d’un péril imminent. Ce qui m’attend, je le sais déjà, car je revis cette situation chaque fois que ce rêve vient visiter mon inconscient. C’est comme s’il n’y avait jamais eu de premier rêve pour m’avertir. Bien que je sache dès le début ce qui va advenir dans les prochaines minutes, je commence toujours par éprouver une certaine volupté pour ensuite sentir glisser le fantôme qui prend corps.
C’est l’ombre qui se déplace lentement. Je la sens entrer dans mon champ de vision sans même tourner la tête. Je prends alors conscience de mon immobilité, de mon incapacité à fuir la situation. Je demeure figée dans ma posture, et ma nudité devient embarrassante. Incapable d’esquisser le moindre geste, je ne peux que subir l’horreur qui se profile et qui va me saisir dans son poing glacé. Les battements de mon cœur accélèrent et mon univers devient prison. Piégée, mes yeux exorbités finissent par happer cette image qui demeure imprimée dans mes rétines au réveil : peu à peu se tourne vers moi un autre moi-même. Je me fais face, je suis nez à nez avec mon propre sosie, ou plutôt une réplique de mon corps et de mon visage d’une monstruosité sans nom. Membres hideux, yeux disproportionnés qui me fixent mais leurs pupilles sont sans éclat, bouche ouverte sur un cri muet. Je tente alors de m’échapper, d’appeler au secours, en vain. Je suis condamnée à ce face-à-face avec ma mort.
Jusqu’à mon réveil.
Jusqu’au prochain rêve.
Chapitre 1

D’après le journal d’Elsa.
Un soir de novembre.

Il y avait des soirs compliqués et celui-ci ne faisait pas exception. Ce dîner achevait une journée en demi-teinte qu’aucune grande joie n’avait irradiée, où l’ennui avait succédé à la monotonie d’un emploi du temps sans relief. Assise en face de moi, ma mère me présentait son profil habituel, le gauche, celui qui arborait un grain de beauté sur la rondeur de la pommette. J’avais hérité de cette perle marron sur la même joue, et cela accentuait notre ressemblance que je tentais de gommer par tous les moyens. D’ailleurs, depuis septembre, je me vaporisais les cheveux d’eau oxygénée. Le résultat n’était pas si vilain : de châtains, mes mèches se parèrent de reflets fauves tirant sur le roux flamboyant, ce qui m’écartait de la couleur naturelle que je partageais avec ma mère. Si j’écris que son profil se découpait devant moi, c’est parce que, comme à notre habitude, nous dînions en regardant le journal télévisé. Là aussi, j’écris « nous » alors que je devrais plutôt dire « elle », car au demeurant, je n’étais pas particulièrement passionnée par ce qui s’étalait sur l’écran. Peu préoccupée par ce qui ne me touchait guère, j’écoutais distraitement les propos journalistiques qui répondaient déjà à des codes censés faire monter l’audimat. À l’inverse de ma mère qui semblait absorbée par le déluge d’images choc et de commentaires bien choisis, je demeurais imperméable et tentais de décrocher de ce moment, de me réfugier en moi-même. Et je remontais le temps. Nous n’étions plus alors lundi, mais encore le week-end dernier.
Ce week-end-là, c’était le tour de garde de mon père. […] [à Garens, dans les Pyrénées]
« Tu l’as vue ? s’enquérait-elle.
Qui ça ? Mamette ? grommelais-je.
Ben non, l’autre, insistait-elle sans oser prononcer le prénom de celle qui avait pris sa place.
Patricia ? sifflais-je pour la punir. Évidemment ! Je te rappelle qu’elle vit avec papa depuis huit ans.
Et… ça va ? Ça s’est bien passé ?
Comme d’hab. Ni plus, ni moins.
Vous avez parlé, un peu ?
Tu en as des questions ! m’insurgeais-je. Un peu, oui. Mais j’évite. Je préfère discuter avec papa, Mamette ou Célia. Bon, tu as fini ton interrogatoire ? J’écoute les infos ! »
Rassurée par le bref résumé de mon séjour en terre natale, ma mère pouvait de nouveau sourire dans son assiette de pâtes et contempler l’homme tronc qui débitait les malheurs du monde avec une aisance délectable.
Ce soir-là, cependant, un changement se tramait. Déjà je le sentais naître au creux de mon estomac. Je poussai les macaronis du dos de la fourchette à l’autre extrémité de l’assiette. Nappant les pâtes, le fromage râpé collant me donna la nausée. Je piquai un carré de jambon au bout des dents de la fourchette, mais la seule vision de la languette rose pendouillant sous mes yeux me souleva le cœur. Je reposai mon couvert et tournai la tête vers la télévision. Le mouvement accrut la sensation de malaise qui prenait corps au fond de mon être.
« Finis ton assiette, Elsa », m’enjoignit ma mère.
Je sentis la salive envahir ma cavité buccale. De la tête, je fis signe à ma mère que je n’avalerais plus rien et portai une main devant ma bouche.
« Que t’arrive-t-il ? » s’inquiéta-t-elle soudain.
Je ne pus rien ajouter d’autre. En guise d’explication, je me levai précipitamment et fonçai vers les toilettes. Là, penchée sur la cuvette, je déversai cette mer acide qui stagnait en moi et qui me rongeait l’estomac depuis mon retour du lycée Berthelot. Une épidémie de gastro-entérite décimait les classes de mon établissement scolaire depuis une dizaine de jours. Jusqu’à ce soir, j’étais parvenue à passer entre les mailles du filet. Il faut croire que le microbe avait été plus malin. Sans que je pusse me défendre et rétablir la vérité, ma mère en profita pour imposer son verdict :
« C’est vraiment pourri ce qu’elle te fait à manger la pétasse de ton père. À peine vingt-quatre heures que tu es rentrée et voilà le résultat ! C’est toujours pareil : sur qui ça tombe le rôle de garde-malade, hein ? »
De toute évidence, ma mère aussi avait quelque chose à vomir.
Je passai une partie de la nuit ainsi, à m’épancher dans le petit réduit, me vidant de ma bile, les yeux piqués de larmes et le cœur à l’envers. Ma mère ne me fut d’aucun secours, assommée par les somnifères qu’elle avait coutume d’ingurgiter pour trouver le sommeil. Au petit matin, elle me trouva assoupie sur mon lit défait, une bassine à mon chevet et une étrange odeur de vomi dans mes cheveux collés.
De mauvaise grâce, elle partit au travail, me laissant à mes tourments. Afin de ne pas me déshydrater, je me servis un verre d’eau du robinet. Le goût de chlore me donna la sensation de nettoyer ma tuyauterie mise à mal depuis la veille. Cependant, je n’en pris que deux gorgées et repartis me rencogner contre l’oreiller. […]
Les écouteurs de mon baladeur dans les oreilles, les yeux fermés : une posture qui devint ma drogue à moi. Sourde aux protestations de mon estomac qui semblait se vriller, comme une essoreuse, comme un tambour de machine à laver, pour évacuer le microbe qui y avait élu domicile, je m’enroulai en position fœtale et commençai mon voyage intérieur.[…]
Ce dont je ne me doutais pas, c’était qu’après cette première journée de jeûne, je scellais déjà ce qui allait me condamner.



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